Le rapport entre les langues romanes et l'anglais dans le lexique scientifique
 
Le rapport entre les langues romanes et l'anglais dans le lexique scientifique

L’anglais est devenu le code de la communication scientifique au niveau international, c'est-à-dire qu’il joue un rôle semblable à celui qu’avait dans l’Antiquité le latin et le grec pour la communication entre les peuples.

Même s’il est indispensable de publier nos recherches en anglais pour les divulguer auprès de la communauté scientifique internationale, cela ne signifie pas que les langues romanes ont perdu leur importance.

Il est donc essentiel de déterminer avec précision l’utilisation de la langue nationale ou de l’anglais de manière à faire correspondre le code choisi pour la communication aux destinataires effectifs du message.

Récemment, en février 2003, un important congrès international s’est déroulé en Italie, à Florence, pour tenter d’établir les rapports entre la langue nationale et l’anglais. Le congrès a été organisé par l’Accademia della Crusca (Académie de la Crusca), qui est actuellement la plus haute institution linguistique italienne, et par l’Accademia Nazionale delle Scienze (Académie Nationale des Sciences).

On y a conclu que la langue anglaise doit servir à la communication internationale et que la langue nationale est nécessaire quand on s’adresse à un auditoire local ou national. Cette définition est particulièrement importante. Elle permet de dessiner des lignes directrices précises à suivre si l’on souhaite être lus et par conséquent connus.

Tout d’abord, il faut savoir exactement à qui l’on s’adresse et qui reçoit notre message, c'est-à-dire connaître le créneau. Se tromper de code engendre l’incommunicabilité.

Citons l’exemple des revues scientifiques:

  • Si l’on diffuse une publication au niveau international, c’est à dire qu’elle sera lue dans le monde entier, il est opportun de la traduire en anglais: c’est le seul moyen de se faire connaître.

  • Si en revanche la publication ou la revue est destinée à un public local, on doit utiliser la langue nationale. On commettrait une erreur si l’on utilisait l’anglais car on risquerait de perdre les lecteurs nationaux qui ne savent pas l’anglais. Suivant ces indications, quand on développe des comptes-rendus lors de congrès internationaux dans des pays non anglophones, la majorité du public présent ne parle pas anglais; il faudra donc développer des comptes-rendus dans la langue propre, prévoir la double traduction (en anglais et, pour ce qui nous concerne, dans une langue romane) sur les diapositives et les affiches. En revanche, les actes devront être publiés en anglais, car, vu qu’il s’agit d’un congrès international, ils seront destinés à un public multilingue et l’anglais est le seul code commun de communication.

Quand on a choisi un code, il faut, d’après ces indications, le maintenir dans toutes les publications ou dans les différents fascicules des revues. Le fait de publier, comme il arrive parfois, certains articles dans la langue nationale à côté d’autres articles en anglais n’a aucun sens, ou plutôt c’est une erreur, car de cette manière la publication n’a aucun objectif précis et identifié.

L’IMPORTANCE et LA RICHESSE du lexique médical

En effet, la langue n’est pas un organisme naturel, mais elle dépend de ceux qui la parlent et de ceux qui la conseillent. Pour le langage de la médecine, les responsables sont les médecins et pour le domaine spécifique de la pédiatrie, ce sont les pédiatres.

L’attention que nous, médecins, portons au langage vient du fait que, parmi les langues romanes, pour ce qui concerne les langages spécialisés, la médecine est celui qui contient le plus grand nombre de mots: environ 13,70% pour la médecine, suivie par la chimie 13,32%, la zoologie 7,82%, la technique et la technologie 4,15%, la physique 3,73%.

Les langues romanes, justement en raison de leur étymologie grecque et latine, possèdent une richesse capable d’illustrer toute nuance et elles sont précieuses pour tout le langage scientifique. Citons comme exemple l’ouvrage de I. Armengaud, publié dans les "Archives de Pediatrie": «Étymologiquement, pleurer (plorare) c’est pousser des cris de douleur que l’on peut rapprocher, par la même racine latine, de se lamenter (deplorare) ou supplier en pleurant, alors que la définition du Petit Robert n’est que le fait de répandre ses larmes sous l’effet d’une émotion. Dans cette même recherche de définition, il n’est pas inutile de rappeler que crier (la criée) c’est aussi « appeler le citoyen »; ainsi donc le nourrisson aurait la compétence d’indiquer sa détresse et de faire appel à son entourage pour y remédier.

Dans une définition anglo-saxonne que nous fournit la classification internationale des maladies (CIM 10), bien connue des utilisateurs du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), cette entité nosographique ne correspond qu’à des « pleurs excessifs », ce qui laisserait à penser que le nourrisson est autorisé à pleurer un certain temps au-delà duquel la limite dépassée se révélerait de l’ordre du pathologique. » (1)

La richesse d’expression des langues romanes, comme le montre cet exemple, donne au mot une signification plus exacte, fournissant un enrichissement. En même temps, l’utilisation des termes anglais dans le contexte des langues romanes ne trouve aucune justification. Les langues française et espagnole ont intégré très peu d’anglicismes, c’est à dire des prêts de la langue anglaise, à la différence de l’italien qui, par mode, en a importé une quantité énorme, là aussi sans aucune justification car il n’existe aucun terme anglais intraduisible en italien.

LE “MORBUS ANGLICUS” QUI PRODUIT LE FRANGLAIS

Quant au français, frappé lui aussi par le “morbus anglicus”, il n’est pas non plus à l’abri de l’importation d’anglicismes. Même si l’Académie Française a introduit une amende pour les journalistes qui utilisent des termes étrangers, la tentation du franglais est toujours présente, bien qu’injustifiée.

Citons l’exemple du terme “cosleeping” I. Lequien et C. Carpentier, justifient dans les “Archives de Pédiatrie” (2) l’usage du terme “cosleeping”: «En l’absence de substantifs à la fois précis et concis dans la langue française, nous avons retenu la terminologie anglo-saxonne. Bedsharing (partage du lit) et cosleeping (le fait de dormir ensemble) peuvent être considérés comme des synonymes: c’est ce dernier terme qui sera utilisé. Le roomsharing désigne le fait pour les parents et l’enfant de partager la même chambre, mais à priori dans des lits séparés.». Il n’y a aucune raison d’utiliser le “franglais”, car la traduction en français est directement indiquée par les auteurs entre parenthèses et pour tous elle est plus compréhensible que l’anglicisme. En particulier, on risque que le mot “cosleeping” devienne jargonnesque, connu par exemple des pédiatres et des neuropsychiatres infantiles, mais ignoré des autres spécialistes. On pourrait objecter qu’il n’est pas intéressant du point de vue linguistique de traduire un mot par une locution. Au lieu d’importer un mot de l’anglais, il peut être intéressant de chercher, en l’occurrence dans la langue française (mais cela est valable pour tout idiome), s’il existe la traduction correspondante, c’est à dire qu’on pourrait opérer une adaptation à faible coût, en ajoutant une signification supplémentaire à un mot déjà existant, ou bien on pourrait facilement rechercher de nouvelles significations, comme cela s’est déjà produit, toujours avec la langue française. Nous rappelons que lorsque qu’on lança la première bombe atomique, on forgea le terme “plastiquer”. La traduction du mot “cosleeping” est facile, si l’on considère que le préfixe “co-“ existe déjà dans de nombreux autres mots, par exemple “cohabitation”.

Le problème qui émerge de cet exemple est celui du rapport entre langue anglaise, code de la communication scientifique et de l’échange international, et les langues nationales, qui sont un instrument de travail quotidien.

NÉCESSITÉ D’UNE TRADUCTION MINUTIEUSE

Le problème qui se pose est le transfert de certains termes d’un milieu à l’autre, c'est-à-dire, pour ce qui nous concerne, de l’anglais aux langues romanes.

Comme nous l’avons dit, les langues romanes sont si riches et possèdent une telle variété terminologique qu’il n’existe aucun terme intraduisible; on risque cependant une certaine confusion et des équivoques à propos des termes les moins utilisés. La traduction des termes les plus courants est connue et beaucoup d’entre eux figurent dans les dictionnaires, pour les néologismes ou les mots les moins utilisés, pour lesquels il n’existe aucune traduction stable, on risque d’introduire des synonymes rendant difficile la définition de mots clé faciles à chercher. Dans ces cas, il est utile de citer entre parenthèses le terme anglais: c’est une façon de faciliter la recherche au niveau international, mais surtout d’introduire et de faire circuler parmi les opérateurs la traduction exacte d’un terme anglais qui ne figure pas encore dans les dictionnaires, en général très lents lorsqu’il s’agit de reconnaître les néologismes, surtout s’ils représentent des technicismes. Rappelons qu’il ne s’agit pas, dans ce cas, d’une contamination de la langue nationale car l’anglais dans le langage scientifique est un code de communication international qui appartient à tous. Dans cette optique, Daniel Rosenberg a bien agi quand, dans l’un de ses articles, «Dormir dans le lit de ses parents (cosleeping)…» (3), il écrit le texte en français en indiquant le terme anglais entre parenthèses.

Le problème de la traduction correcte et de la diffusion qui s’en suit des termes anglais, surtout quand il s’agit d’un néologisme, concerne de façon importante le travail des traducteurs. Trop souvent la traduction des livres de l’anglais aux langues nationales est confiée à des traducteurs professionnels qui n’ont cependant aucune compétence médicale spécifique; ainsi, ils risquent de commettre des erreurs quand il ne recherchent pas dans la langue romane le terme qui traduit une locution. L’anglais, par exemple, n’utilise pas le terme “pubarca”, mais la locution “apparition de poils sur le pubis” et il n’est malheureusement pas rare de trouver dans les traductions dans les langues romanes une locution similaire.

Au début, nous avons dit que la langue n’est pas un organisme naturel, mais qu’elle dépend de celui qui la parle.

L’exemple de “cosleeping” est l’occasion d’une réflexion supplémentaire.

Aucune langue au monde ne peut être imposée par décret; aussi, c’est l’usage qu’en font les gens qui en détermine l’évolution et la mutation. Il est donc important d’empêcher l’introduction de mots étrangers et de soigner la traduction exacte et complète des néologismes dès le départ, de manière à ce que les termes corrects commencent à circuler dès leur première apparition; en effet, lorsqu’on a commencé à utiliser un terme, même étranger, il est difficile, voire impossible de le remplacer par la traduction correcte. C’est le cas du mot “piercing” qu’A. Bourgain est contraint d’utiliser dans son ouvrage «Piercing et tatouage: du corps à l’œuvre d’art»(4).

Pour ce qui concerne le langage de la médecine, la nécessité d’une langue précise et correcte ne sert pas à rechercher le “beau langage”, mais elle favorise la communication entre les médecins et avec les patients, fondamentale pour mener une anamnèse précise et expliquer la finalité et les modalités de la thérapie.

LA COMMUNICATION MÉDECIN-PATIENT

Ainsi, il ne faut pas utiliser de technicismes qui risquent de rendre le langage cryptique, et moins encore les mots étrangers (aujourd’hui presque exclusivement des anglicismes) encore plus incompréhensibles que les précédents. Si l’on dit à un patient de faire un “urea breath test”, seul un petit nombre de personnes peut en comprendre la signification, tandis que si l’on utilise le terme de “test respiratoire à l’urée marquée”, quiconque, et en l’occurrence les patients, parvient à en comprendre la signification à l’aide d’un simple dictionnaire.

aucune jusqtification pour les ANGLICISMES même s’il sont onomatopéiques

On a parfois voulu justifier l’usage d’un mot étranger car on le considère comme un terme onomatopéique. C’est le cas du substantif “wheezing”: on estime qu’il est intraduisible car il reproduit le son du flux d’air à l’intérieur des voies respiratoires contractées. On le traduit opportunément en français par “sifflement” dont la signification est claire pour tous.

Un terme onomatopéique à succès est le substantif “croup” qui reproduit le son du laryngo-spasme. On l’inventa pour exprimer le symptôme directeur de la diphtérie. Le mot “croup” fut également adopté hors de la France car il était en mesure d’exprimer et donc de concrétiser une situation qu’on craignait être mortelle. Prononcer le nom réel de la pathologie était soit redoutable soit insurmontable; “croup”, en revanche, indiquait le symptôme, sans prononcer le nom de la maladie, et le rendait en même temps plus familier et maîtrisable.

Le substantif onomatopéique “croup” doit être considéré comme une exception. Les langues sont un code utile pour la communication; ainsi, il est préférable d’utiliser “sifflement” à la place de “wheezing”.

Si l’on accorde trop d’importance aux termes onomatopéiques, on risque de devoir imiter le cri de l’âne au lieu d’utiliser le verbe «brailler»!

CONCLUSION

Comme on peut le voir, les langues romanes continuent à jouer un rôle important qui n’est absolument pas affaibli par la diffusion de l’anglais.

Il est important que tout pédiatre se sente responsable de la protection de sa propre part de langage médical.

De même, une plus grande coopération est nécessaire entre les institutions et les sociétés scientifiques des nations où l’on parle les langues romanes pour sauvegarder le patrimoine linguistique commun.

Bibliographie

  1. Armengaud D., Cris?!, pleurs?? Du nourrisson… et chuchotements, Arch Pédiatr 1999; 6: 889-92.
  2. Lequien P., Carpentier C., Cosleeping et mort subite du nourrisson, Arch Pédiatr 2000; 7: 680-3.
  3. Rosenberg D., Dormir dans le lit de ses parents (cosleeping) accroît-il le risque de mort subite du nourrisson ?, Arch Pédiatr 2000 :787
  4. Bourgain A., Piercing et tatouage: du corps à l’œuvre d’art, Arch Pédiatr 2001; 8: 1006-12.
  5. Farnetani I., Come cambia il linguaggio della pediatria, Rivista Italiana di Pediatria, 1998:194-195.
  6. Farnetani I., Relazione al I° Congresso Nazionale sulla fibrosi cistica, Roma 10 febbraio 1994, Roma, 1994.
  7. Hill D.J., Charting infant distress: an aid to defining colic, Journal of Pediatrics, 1992,:755-758.
  8. Da Silva L.J., The Etymology of Infection and Infestation, The Pediatric Infectious Disease Journal, 1997:1188.
  9. Calman K.C., Royston G.H.D., Risk language and dialects, British Medical Journal, 1997: 939-942.
  10. Campbell D.M., Risk language and dialects, «British Medical Journal», 1998:1242-1243.
  11. Commissione linee guida e indicatori di qualità della FISM (Federazione delle Società Medico Scientifiche Italiane), Raccomandazioni per la partecipazione delle società medico scientifiche alla produzione, disseminazione, valutazione di linee guida di comportamento pratico, Quality Assurance, 1996:77-95.
  12. Farnetani I., Come scrivere un buon testo di divulgazione scientifica, Area pediatrica, 2002:44-47.
  13. Farnetani I., La RIP in inglese: una decisione indispensabile, Pediatria notizie, 2002:2-4.
  14. Farnetani I., Abecedaire de pediatrie, Grand’angolo di pediatria e neonatologia, 2003:49-52.
  15. Farnetani I., Il morbus anglicus che colpisce i medici, Grand’angolo di pediatria e neonatologia, 2003: 53-54.
 
 
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